L’allergie aux acariens de la poussière de maison est très fréquente chez les chiens atopiques. Ces acariens appartiennent à la famille des pyroglyphidae : Dermatophagoides farinae (qui ne vit pas dans la farine) Dermatophagoides pteronyssinus, Euroglyphus maynei et Dermatophagoides maynei (Blomia tropicalis dans des pays plus chauds que l’Europe). Il existe d’autres acariens, dits de stockage, fréquemment incriminés en allergologie canine. Ils appartiennent aux familles des glycyphagidae et des acaridae. Isolés initialement dans du foin et des grains stockés, ils peuvent être présents dans la poussière de maison (en faible quantité), mais aussi dans des denrées alimentaires (aliments industriels secs), dans lesquelles ils peuvent proliférer dans certaines conditions (chaleur, humidité excessives) ou des déchets de cuisine. Leur rôle est connu depuis un demi-siècle en médecine humaine (1) et les premiers cas d’allergie ont été rapportés chez des fermiers écossais à la fin des années 1970 (2). Les premières sensibilisations ont été décrites chez le chien dans les années 1980 (3). Ils pourraient être à l'origine d'accidents par inhalation par ingestion ou par contact. Malgré la fréquence de ces sensibilisations (parfois plus de 90% des chiens atopiques !) et l’ancienneté de cette reconnaissance, leur place en allergologie canine est encore très controversée. Voici quelques éléments pour se faire une opinion sur l’interprétation des tests allergologiques aux acariens de stockage, voire la nécessité ou non de les utiliser dans des cocktails de désensibilisation.
Biologie des acariens de stockage
Les acariens, dits de stockage, incriminés en allergologie chez l’Homme et potentiellement le Chien sont: Acarus siro, Glyciphagus destructor, Tyrophagus putrescentiae (Figures 1-2) et
Lepidoglyphus. Dans les habitats très humides (>80%) les moisissures et Tyrophagus sont les principaux composants allergisants de la poussière. Ces acariens se nourrissent surtout de
moisissures et donc peuvent contaminer une cuisine ou des aliments pour chien dans un milieu humide dans lequel se développent aisément des moisissures (4).
Le développement des acariens dans les aliments secs industriels a été étudié. Ils ne sont pas présents initialement dans les aliments industriels, mais on les retrouve rapidement lors de
stockage de sacs ouverts dans des milieux chauds et humides (5). A 16°C et 68% d'humidité, aucun acarien ne se développe ; par contre, dans un chenil à 71% d’humidité et 23°C, on retrouve
dans 90% des sacs ouverts ou clos après usage des acariens du genre Tyrophagus au bout de 5 semaines. La composition en acide gras et l’humidité des croquettes ne semblent pas influer sur ce
risque. Il est probable que ce soit le développement de moisissures, substrat de développement des Tyrophagus sp., qui soit à l’origine de cette contamination.
Allergènes des acariens de stockage
Chez l’Homme, des allergènes de Lepidoglyphus destructor, Glycyphagus domesticus, Tyrophagus putrescentiae, Acarus siro, Aleuroglyphus ovatus, Suidasia medanensis et Thyreophagus entomophagus ont
été isolés, séquencés et clonés. La plupart de ces allergènes ont une forte homologie de structure et de fonction avec ceux des acariens Pyrogliphides : homologues de la tropomyosine
(allergène n°10 dans la nomenclature pour tous les acariens et n°1 pour les crustacés) et paramyosine, protéines de transport d’acides gras, apoliphorine-like, tubulines (6).
Les sensibilisations isolées aux acariens de stockage (sans allergie aux acariens de la poussière) sont donc très exceptionnelles en raison de ces nombreux allergènes communs.
Chez le chien, la spécificité des sensibilisations aux acariens de stockage est encore plus mal connue, de nombreuses réactions par IDR étant observées chez les animaux sains. Par conséquent les
rares cas de sensibilisation isolée sont ininterprétables(7).
C’est donc surtout en étudiant les IgE d’animaux artificiellement sensibilisés ou spontanément allergiques que des études ont été faites. L’inhibition in vitro des dosages d’IgE spécifiques
montre une très forte allergénicité croisées entre : D. farinae, A. siro & T. putrescentiae d’une par et D. pteronyssinus & L. destructor d’autre part (8). De telles observations
montrent qu’il existe probablement des allergènes majeurs communs différents entre l’homme et le chien pour ces allergènes. Les seuls identifiés chez le chien sont ceux de Df. Ce sont
essentiellement des chitinases de fort poids moléculaire (Der f15 et Der f18) et non pas Der f1. Les allergènes majeurs pour le chien des acariens des genres Acarus et Tyrophagus seraient aussi
des protides de fort poids moléculaire (> 80 kD) (9).
Réactions croisées (acariens domestiques et parasites)
Il existe de fortes réactions croisées entre acariens du genre Dermatophagoides et de nombreux acariens parasites chez le chien : Sarcoptes sciabiei, Cheyletiella sp, Neotrombicula automnalis et Otodectes cynotis. Etant données les réactions croisées très fortes entre acariens de stockage et de la poussière il est fort probable que l’on observe des sensibilisations apparentes aux acariens de stockage lors de gale sarcoptique, de trombiculoe ou de cheylétiellose.
Fréquence de sensibilisation
Les chiens atopiques sont beaucoup plus souvent sensibilisés aux acariens de stockage que les humains atopiques. Plusieurs études européennes rapportent les fréquences suivantes de tests cutanés
positifs chez les chiens atopiques: Acarus siro 35-66%, Glyciphagus domesticus 25 %, Tyrophagus putrescentiae 33-54%, Lepidoglyphus 23% (3, 7, 8, 10Ê). Les fréquences en tests
in vitro sont encore plus importantes, parfois supérieures à 90% (9Ê, 11).
Toutefois la fréquence de cette sensibilisation est sujette à caution faute de témoin négatifs (et positifs pour les tests in vitro).
Il existe dans notre expérience plusieurs phénotypes de sensibilisation aux acariens (photos 2 et 3) : des animaux quasi exclusivement allergiques à D. farinae (ou Df et Euroglyphus) et des
animaux qui présentent probablement des sensibilisations plus variées ou à un panallergène communs aux acariens avec des réactions multiples à D. farinae, D. pteronyssinus et aux acariens de
stockage
Signes cliniques
Les seuls signes cliniques décrits chez le chien sont ceux de poussées de dermatite atopique . On pourrait aussi imaginer que, comme chez l’Homme, des contacts oraux ou respiratoires massifs
puissent être à l’origine de choc anaphylactique (12, 13), de rhinite ou de troubles digestifs.
Une seule étude a été consacrée à l’implication potentielle d’acariens de stockage dans le développement de poussées de DAC chez le chien atopique. Cette expérimentation a été menée chez des
chiens d’une lignée prédisposée à la dermatite atopique (14). Ces animaux sont sensibilisés par voie transcutanée à Df. Chez ces animaux allergiques à Df, l’introduction dans la cage de 50 mg de
Tyrophagus sp. une fois par jour 3 jours de suite provoque l’apparition de signes de dermatite atopique : érythème de la face, des pavillons auriculaires, doigts et abdomen. La
sensibilisation croisée peut donc chez des chiens allergiques aux acariens de la poussière de maison être à l’origine d’une poussée due à un contact avec des acariens de stockage.
Les autres acariens de stockage fréquemment incriminés comme Acarus et Lepidogliphus n’ont pas fait l’objet d’études du même type.
Acariens et allergie alimentaire ?
Il est peu probable que les acariens de stockage soient des allergènes alimentaires ou du moins à l’origine d’allergies digestive. En effet, la quantité de protéines d’acariens intactes atteignant le tube digestif est dérisoire et la voie orale est notoirement une voie tolérogène(15). Toutefois, dans l’étude citée précédemment dans un modèle de chien artificiellement sensibilisés à Df, l’administration oral de Tp provoque une poussée de DAC au bout de 24h chez de très jeunes chiens (5 mois)(14). De tels résultats ne sont pas obtenus avec Df chez des chiens atopiques adultes (16).
Interprétation des tests allergologiques
L’interprétation des tests allergologique se heurte à deux problèmes : la fréquence des tests positifs chez les animaux sains (11, 17) et les fortes réactions croisées avec les autres
acariens.
Comme pour tous les acariens, il sfaut garder à l’esprit la possibilité de sensibilisation sans rapport avec la symptomatologie, notamment chez les chiens atopiques. Par conséquent des tests
cutanés positifs ne s’interprète que s’il existe des éléments anamnestiques en faveur d’une allergie à l’allergène suspecté. In vitro le problème est plus aigu parce qu’il faut disposer d’étalons
positifs et définir un seuil de positivité ce qui existe dans certains laboratoires pour les Dermatophagoides, mais pas pour les acariens de stockage.
Il existe en fait chez le chien, comme chez l’homme (ubi infra), des phénotypes de sensibilisation variables, avec des animaux présentant un profile de sensibilisation unique à Df ou Df et Em
(Figure 4) et d’autres nettement polysensibilisés à tous les acariens (Df, Tp, As…) (Figure 5).
Choix d’une désensibilisation (immunothérapie spécifique, ITSA)
En médecine humaine, l’immunothérapie n’est envisagée que si les mesures d’évictions sont impossibles ou inopérantes. Les résultats de l’ITSA à l’aide d’extraits d’acariens de stockage sont extrêmement controversés pour ne pas dire décevants. Ils ne sont pas utilisés en routine et en Europe les monosensibilisations à Dp sont la règle lors de polysensibilisation aux acariens. Récemment, l’utilisation diagnostique et thérapeutique d’allergènes majeurs recombinants ou purifiés pourrait révolutionner cette approche chez l’Homme. En étudiant la réponse IgE à 7 des allergènes de Dp (nDer p 1, nDer p 4, rDer p 2, rDer p 5, rDer p 7, rDer p 8, rDer p 10) on montre qu’il existe des patients ayant un phénotype assez pur de sensibilisation à Dp (avec des réactions uniquement aux deux allergènes majeurs) et des patients ayant un phénotype de sensibilisation nettement plus varié et large, incluant un allergène à l’origine de nombreuses réactions croisées avec tous les autres acariens, comme Derp10, c’est-à-dire la tropomyosine (18).
Il n’existe aucune étude sur l’intérêt de la désensibilisation aux acariens de stockage chez le chien, comparée à une désensibilisation aux seuls acariens de la poussière de maison.
La seule étude approchant indirectement ce sujet compare l’efficacité d’une désensibilisation Df 100% à un placebo (sans allergène) chez des chiens atopiques polysensibilisés (Df et d’autres
allergènes : acariens de stockage et pollens de Graminées essentiellement) (19). Aucune différence significative n’a pu être mise en évidence entre le groupe désensibilisation avec
uniquement Df et un placebo à 9 mois. Cette étude très multicentrique et incluant un petit nombre de chiens présente de nombreuses limites. Surtout elle ne permet pas conclure sur l’intérêt d’une
polydésensibilisation par rapport à une monodésensibilisation.
En médecine vétérinaire, les deux approches (mono et polydésensibilisation) sont donc encore d'usage tant en Europe qu'aux Etats-Unis. Peut-être que les années à venir vont apporter un début de
réponse.
Eviction environnementale
On a pu montrer que le confinement de chiens atopiques dans un milieu sans acariens permet d’amender les symptômes de DAC en une semaine (20). D’autre part, le contact avec des acariens de
stockage peut provoquer des poussées de DAC chez les chiens allergiques aux acariens domestiques. Par conséquent, il est important de recommander chez le chien atopique d’effectuer un stockage
correct des aliment sec (sac refermé hermétiquement, milieu sec, température modérée). Ces recommandations se font indépendamment de toute positivité à des tests aux acariens de stockage.
On peut aussi améliorer cette éviction en recommandant des shampooings fréquents afin de limiter la quantité d’acariens en contact avec la peau. En effet, les chiens atopiques ont des défauts de
barrière cutanée tels que le contact cutané avec des acariens de la poussière de maison entraine très rapidement une sensibilisation (21). C’est d’autre part une voie de déclenchement de
réactions allergiques après la phase de sensibilisation, mais en outre ils produisent de nombreuses substances qui peuvent agir directement sur la réponse immunitaire cutanée (22).
Les mesures d’élimination dans l’environnement proche de l’animal en associant des produits acaricides et protéolytique pourraient être intéressante, mais elles sont très controversées. La
controverse est telle que le bienfondé même de cette lutte pourrait être remis en cause, comme le montrent certaines tribunes dans un des journaux de référence de ce domaine, le Journal of
Allergy and Clinical Immunology. Ainsi, récemment, B. Marks a mis l’accent sur quelques incohérences de théories actuelles en allergologie: malgré la mise en évidence d’un lien entre
sensibilisation aux acariens et asthme, les mesures d’éviction préventive ou curative chez les enfants à risque donnent des résultats très décevants. Il est possible que l’exposition aux acariens
ne soit pas systématiquement délétère et qu’il existe un niveau d’exposition qui permette le développement de réponses tolérogènes.
Conclusion
Les sensibilisations aux acariens de stockage sont fréquentes chez le chien atopique et sont très probablement le fruit de la sensibilisation transcutanée aux acariens de la poussière
(Dermatophagoides sp.), plus nombreux dans l’environnement et le microenvironnement des chiens (23).
Toutefois, cette fréquence de sensibilisation ne justifie pas forcément ni de les inclure systématiquement dans des batteries de tests allergologiques, ni surtout de les utiliser à des fins
thérapeutiques, tant les réactions avec les acariens du genre Dermatophagoides sont importantes.
Il est très urgent qu’un programme de standardisation des extraits allergéniques à usage vétérinaire se mette en place pour optimiser le choix d’un traitement de fond chez les chiens allergiques
aux acariens.
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