On peut avoir tendance à résumer le choix du traitement d’une DAC à l’état de l’animal (intensité du prurit, allergies diagnostiquées, infections, état kératoséborrhéique, complications naturelles ou iatrogènes…). La chose est déjà complexe tant les formes de la maladie sont variées. Toutefois il faut aussi tenir compte des connaissances, des moyens, voire de la motivation des propriétaires. En effet, la dermatite atopique est un archétype des maladies chroniques : pérenne, multifactorielle, variable dans le temps, impactant la qualité de vie de l’animal et de son propriétaire. Une véritable prise en charge sur le long cours est donc nécessaire faisant intervenir ce que l’on appelle aujourd’hui l’éducation thérapeutique. En médecine humaine, l’ETP (éducation thérapeutique du patient) est devenu un outil incontournable de la prise en charge du diabète ou de la dermatite atopique par exemple. En médecine vétérinaire, cette approche existe de façon parcellaire, via la remise de notices ou des démonstrations de soins par exemple. Toutefois, pour être efficace, cette éducation thérapeutique doit être plus structurée et prendre en compte les connaissances des propriétaires et leur capacité à faire et comprendre les soins.
C’est pourquoi, dans le cadre de la mise en place d’une école de la dermatite atopique canine, nous avons effectué avec le soutient de Santé Vet, un sondage auprès de propriétaires de chiens atopiques afin de connaître leur niveau de connaissance sur la maladie, les types de soins proposés ou en cours et leur niveau de motivation.
Il s’agit d’un questionnaire en ligne assez long qui a été rempli par des propriétaires de chiens, assurés ou non, présentant une dermatite prurigineuse chronique. Certaines questions permettaient de faire un diagnostic de dermatite atopique en se basant sur des critères mis en place pour effectuer des études épidémiologiques. Voici les premiers résultats significatifs de cette enquête sur près de 1000 questionnaires (tableau I, les résultats complets sont en cours de publication).
Tableau I : quelques chiffres clefs de l’enquête :
Traitement APE mensuel
25%
Régime d'éviction fait
15%
Ciclosporine essayée
6%
Désensibilisation tentée
10%
Automédication lors des crises (corticoïdes ou shampooings)
80%
Propriétaires capables de nommer la maladie
30%
Propriétaires ayant conscience du caractère pérenne de la maladie
4%
Parcours consultatif
Le nomadisme médical est faible, que les animaux soient assurés ou non : 60 % des propriétaires n’ont pas pris un autre avis. Seuls 6% des propriétaires ont consulté un vétérinaire spécialiste ou certifié en dermatologie.
Le diagnostic a été fait cliniquement dans plus de la moitié des cas, dans 15% suite aux résultats d’une biopsie cutanée et un quart grâce à des tests allergologiques.
Motifs de consultation et signes cliniques
Le principal motif de consultation est le prurit (60%), suivi par l’existence d’une otite récidivante (20%). La qualité du pelage, ou la présence de lésions, sont les autres motifs de consultation.
Lorsque l’on demande aux propriétaires quels sont les trois problèmes les plus importants dans la gestion de la maladie, ils répondent par ordre décroissant (réponses faites plus d’une fois sur trois) :
- l’inconfort de l’animal
- le coût des traitements
- l’aspect de l’animal
- la gène liée au bruit de grattage ou de léchage
Parcours thérapeutique
Curieusement, 12% des animaux n’ont jamais été traités et un tiers ne répondait pas bien à la corticothérapie initialement prescrite. Ce dernier point reflète peut-être des erreurs de diagnostic ou un biais de recrutement (gale, démodécie) ou l’existence d’une infection associée (pyodermite, dermatite à Malassezia).
Les traitements les plus prescrits (et de loin) sont des corticoïdes par voie locale ou générale, les shampooings et l’antibiothérapie. Une désensibilisation est envisagée dans 10% des cas, la ciclosporine dans 6%, des mesures environnementales dans 8% (traitements anti-acariens), tout comme des traitements homéopathiques par exemple.
Alors que de nombreux soins locaux sont prescrits, la grande majorité des propriétaires (80%) déclare ne pas passer plus d’une heure par semaine à effectuer des soins. Ainsi par exemple, 20% des propriétaires déclarent passer moins d’un quart d’heure à effectuer un shampooing (temps de séchage inclus).
La moitié des propriétaires déclarent effectuer une automédication lors des crises avec essentiellement des corticoïdes per os ou locaux et des shampooings (80%).
L’observance des soins locaux est globalement aisée à l’exception des soins auriculaires difficiles dans un tiers des cas.
Un régime hypoallergénique n’a été prescrit que dans un tiers des cas et suivi rigoureusement pour seulement la moitié.
Seul un quart des chiens atopiques est traitée une fois par mois contre les puces et la moitié moins de 6 fois par an.
Information du propriétaire
A la question « selon vous, de quelle maladie souffre votre animal ? », 24% des propriétaires répondent « je ne sais » pas et 30% « une dermatite atopique ». Entre autres réponses étonnantes, on note dans 4% des cas « une gale d’oreille ».
Interrogés sur la cause de la maladie, les propriétaires évoquent une allergie dans 40% des cas, une cause génétique dans 10% des cas et plus de 40% des sondés déclarent tout ignorer de la cause de la maladie.
On note enfin que pour seulement 4% des sondés la maladie est pérenne.
Les trois-quarts des personnes ayant participé à ce sondage souhaitent recevoir plus d’informations régulièrement sur la maladie
Conclusion
Cette enquête permet de mieux comprendre les motivations des propriétaires, mais aussi les limites des réponses que nous leur offrons tant sur le plan de l’information que de la prise en charge de la maladie.
Les propriétaires des chiens atopiques contrairement à une idée reçue change peu de vétérinaire. Cette confiance doit être récompensée en offrant des solutions plus variées et un accompagnement adapté. Les propriétaires sont très demandeurs d’informations et d’éducation thérapeutique.
Il existe clairement de grandes lacunes dans la prise en charge au long cours de ce syndrome, comme le montre le peu de proposition de traitement immunomodulateur, l’insuffisance quasi générale des traitements APE (les puces sont la première cause de poussée de DAC) ou le peu de mise en œuvre de régimes d’éviction (or 1/3 des chiens atopiques répondent favorablement à un régime hypoallergénique).
On peut de ces données dégager des axes pour la mise en place d’une ETP de la DAC.
- Information des propriétaires sur la maladie.
Plus des deux tiers des propriétaires de chiens atopiques ignorent le nom même de la maladie, tout comme les mécanismes de cette affection, ce qui limite la compréhension des traitements et leur observance. L’éducation à la maladie passe par des initiatives personnalisées adaptée à un public non médical à l’image de ce qui se fait pour les enfants atopiques en médecine humaine. L’utilisation d’allégories mettant en scène la peau et le système immunitaire est très utile et efficace. Elle permet d’expliquer les différents éléments du traitement
- traitement des infections
- restauration de la barrière cutanée
- contrôle de l’inflammation ou de l’allergie
- contrôle des facteurs de poussées comme les puces ou l’alimentation
L’information doit se faire par étape à chaque consultation en insistant initialement que sur les points nécessaires à la compréhension du traitement. On peut renvoyer les propriétaires sur une page internet dédiée sur le site de la clinique ou sur des sites spécialisés (ex : www.k9ad.net). La participation à des groupes de type école de l’atopie est bien entendu l’outil le plus efficace, mais la mise en place de ces réunions nécessite l’implication de plusieurs personnes au sein de la clinique.
- Formation des propriétaires aux soins locaux
Alors que de très nombreux soins locaux sont prescrits, il semble que les propriétaires ne les utilisent pas de façon optimale ou les fassent de façon très rapide. On peut effectuer les démonstration de soins rapides en consultation (lingettes, nettoyage auriculaires, topiques thérapeutiques) et s’aider de vidéo pour les soins plus longs comme les shampooings (disponible sur la plupart des sites de laboratoires proposant des shampooings thérapeutiques)
Enfin le recours fréquent aux corticoïdes notamment en automédication est très préoccupant. Une information sur les dangers d’une telle automédication est nécessaire et commence par la mise en place de visites de suivi lors de la prescription d’une corticothérapie par voie systémique ou topique.
- Formation des vétérinaires sur les traitements de fond (désensibilisation, ciclosporine, soins locaux)
En effet une désensibilisation n’est faite que dans 10% des cas chez les chiens assurés, alors que potentiellement 80% des chiens atopiques sont des candidats. La ciclosporine prescrite dans 6% des cas, alors que c’est le traitement de fond le plus efficace des formes modérées à sévères aujourd’hui. Il existe un article de référence téléchargeable gratuitement sur le site Veterinary Dermatolog.
La DAC est une maladie souvent décourageante dans la pratique quotidienne, c’est pourquoi il est nécessaire d’organiser les consultations de ces animaux en ayant :
- Des outils spécifiques (fiches d’évaluation du traitement, information des propriétaires)
- un temps de consultation suffisant (30-45 minutes)
- un(e) ASV impliquée qui aide au suivi téléphonique
- une page dédiée sur le site de la clinique
- des systèmes de relance automatique pour les traitement pérennes (anti-puces, désensibilisation…)
Enfin, à l’image de la médecine humaine, il peut être intéressant de référer des cas de DAC pour la mise en place d’un traitement de fond dont on ne maitrise pas les tenants et les aboutissants La délivrance restreinte de l’oclacitinib a permis de mettre en lumière l’existence des spécialistes de dermatologie vétérinaire mais sous un angle fallacieux. Le rôle du spécialiste dans le cadre de la DAC n’est pas de délivrer un médicament particulier mais de définir un plan de traitement sur plusieurs années qui sera suivi par le vétérinaire référent. Les possibilités thérapeutiques sont très nombreuses, chaque chien est différent et nécessite un traitement adapté, en tenant compte de la disponibilité et des moyens des propriétaires.